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SAMAYA x KILIAN MONI

LE DÉLAISSÉ PILIER DES SÉRACS

 

 
Le Pilier des Séracs dans la face nord de l’Ailefroide n’est que très peu documenté et même pas réédité dans les topos les plus récents. Cela n’a pas empêché Kilian Moni et Maxime Bertrand de se lancer à l’assaut de cette mythique face nord des Ecrins. Pour Samaya, Kilian revient sur cette sortie, où le parcours a été semé d’embûches.
 
« Le 16 juillet 2023, on s’est rendus au Pilier des Séracs dans la face nord de l'Ailefroide, au cœur des Ecrins. C'est une voie qui a été ouverte en 1981. Elle est plutôt engagée parce qu’on doit longer le glacier rond, un ensemble de glaciers suspendus qui envoie de l'air froid et qui donne l’impression de menacer de tomber sur nos têtes à n’importe quel moment.
 
Cette voie de 900 mètres sortant au sommet de la Pointe Fourastier est comme divisée en deux. La première partie est le pilier des Séracs sur 500 mètres de haut, côté TD+ et 5 sup sur une dizaine de longueurs dans le pilier. On avait un tracé très approximatif. On savait à peu près où il pourrait y avoir un relais et où est-ce qu’on pourrait potentiellement passer. On partait un peu à l’aventure. D’après le gardien, elle n’aurait été répétée que deux fois ces 15 dernières années.

 

 
On est partis du pré de Madame Carl dans les Ecrins, pour remonter tout le vallon du glacier noir et le glacier noir jusqu'au bout. On a installé un bivouac super cosy sur le glacier face à la voie qu’on a pu observer et déchiffrer toute la soirée.
 
On s’est levés à 3 heures le lendemain. Ce qui est cool, c’est qu’il a beaucoup neigé cette année, ce qui nous a permis d’aller directement sur le caillou depuis le glacier. On est arrivés au premier relais en même temps que le soleil pointe le bout de son nez. Cette face prend le soleil dès le matin pour une trentaine de minutes, malgré le fait qu’il s’agisse d’une face nord.
 
Des cailloux et des glaçons ont commencé à tomber dans tous les sens. Heureusement, le pilier hyper raide nous protégeait : tout tombait par-dessus nous. Ça restait terrifiant et on s’est dépêché d’enchaîner cette deuxième longueur.

 

 
Arrivés dans la troisième longueur en 5 sup, on s’imaginait que ce serait du 5c et que ça pourrait dérouler. Prévoyants, on a quand même sorti nos chaussons et notre magnésie, bien au chaud dans le Samaya CHALK_002, ajoutant un peu de couleur à cette paroi. Je me suis mis une grosse frayeur dans la longueur. Il y a un mur hyper compact, sans fissure, sans spit. Dans cette longueur de 50 mètres, j’ai croisé seulement 2 pitons et j’ai pu glisser 2 coinceurs, c’est tout. Là, tu te retrouves à 15 mètres au-dessus de ton coinceur, il faut envoyer le pas suivant mais tu ne sais pas où tu dois aller. J’y suis allé à l’instinct et j’ai fini par tomber sur une vieille cordelette avec un vieux piton avec lesquels on s’est débrouillés pour poser un relais. En ressenti, toutes les longueurs en 5 sup valent plutôt 6b/6c.
 
Finalement, on a tiré des longueurs sur tout ce qu'on pensait faire en corde tendue, tellement la progression était engagée et faisait peur.
 
En revanche, on avait du rocher beaucoup trop beau, hyper compact, dans lequel tu te régales avec des belles prises pour lesquelles tu sais que si tu tires, ça tient. On a progressé comme ça en trouvant des pitons par-ci par-là, en se rendant compte que vraiment personne ne s’aventurait dans cette voie.
 
On s’est ensuite engagés dans un beau dièdre qui nous a ouvert une magnifique vue sur toute la vallée glaciaire, avant d’attaquer deux longueurs en 5 sup d’environ 30 mètres. Le souvenir que j’en ai : je grimpe, je grimpe, je ne trouve pas de protection, pas de fissure, je grimpe, je grimpe, je grimpe. D'après le topo, on était censés trouver des relais, mais ils n’y étaient pas. J’ai continué à grimper encore, jusqu’à un moment où il a fallu engager le pas. Heureusement les friends n’étaient pas très loin, à 5 mètres en dessous, mais il fallait quand même y aller.
 
On a perdu pas mal de temps par rapport à ce qu'on s'était dit, quasiment deux heures. Mais ce n’était pas bien grave, on a fini par sortir en haut du pilier. Il y avait une portion beaucoup moins raide où tu longeais un glacier très épais de 30 mètres de haut et 100 mètres de large, logé dans une pente inclinée à presque 40 degrés. Tu grimpais avec ce truc monstrueux à côté de toi et c’était juste fou. Tu te demandais sur quelle planète tu te trouvais !

 

 
Normalement, la voie longeait cette calotte glaciaire et les séracs, dans la neige. Sauf qu’on s’est retrouvés avec une concentration de chutes de pierres et de glace. On a décidé de tirer vers la gauche dans du rocher pourri où on s’est retrouvés en solo encordés sur 450 mètres. Rien ne tenait dans les mains, ce n’était pas mieux pour les pieds, on ne pouvait pas protéger. La corde, c’était juste psychologique.
 
On s’est débrouillés pour aller dans les zones où le caillou était un peu meilleur, pour que psychologiquement on se sente mieux. Petit à petit, on s’est hissés en haut de la face nord.
 
Puis on a tiré les deux dernières longueurs, il fallait engager. On avait 8 heures derrière nous, on était très fatigués et on avait qu’une envie : sortir pour de bon.
 
On a fini par arriver en haut, trop contents. On a vu que l’heure avait bien tourné donc on a rapidement attaqué la descente par une ligne de rappel qu'on avait repéré. On n'a pas coincé de corde, ni rien, c’était nickel.

 

 
Dans la descente, on était censés récupérer un premier glacier, puis un second et contourner des falaises. On n’avait pas repéré cette portion, j’y étais allé il y a quatre ans donc je m’en souvenais et ça paraissait assez évident.
 
Et en fait, pas du tout. Je n’ai rien reconnu. On s’est perdus, on a tourné en rond, on est descendus trop bas à gauche. On a dû bien remonter pour récupérer la trace normale, ce qui nous a fait perdre presque 1h30 supplémentaires. On était dépités. Heureusement, il y avait les chamois pas loin qui étaient là pour nous remonter le moral.
 
On a retrouvé la voie classique, mais on ne voyait plus les traces. D’après mes souvenirs, il fallait qu’on passe dans un couloir sans tirer à droite. On voyait pourtant des semblants de traces qui partaient à droite, mais le couloir était bon, donc on s’est décidés à y descendre. Quand je l’avais fait, il était plein de neige et de glace, mais comme on était en été, il n’y avait plus rien de tout cela. Il n’y avait que du rocher pourri qu’on a mis énormément de temps à désescalader.
 
En arrivant au refuge à 19 heures, on a appris qu’il existait un chemin d'été qui contournait cette partie délicate et qui faisait gagner bien 1h30. On s'en est tellement voulu de ne pas avoir regardé le topo avant. On était assoiffés et bien fanés, donc on s’est arrêtés pour partager une bonne bière et un petit bout à manger avec la gardienne du refuge, Sophie, avant de reprendre le chemin du retour sur 7 kilomètres et 1400 mètres de dénivelé négatif.
 
C’était une belle bambée où tout était réuni : c’est l’une des trois plus belles faces nord des Écrins, qui n’est jamais parcourue, et c’est 900 mètres de haut dans lesquels il faut engager dans des longueurs magnifiques, avec des beaux dièdres et des belles fissures. Bon, la partie haute craint un peu, elle est assez pourrie, mais pour tout le reste, c’était vraiment trop classe ! »

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